Lettre ouverte de l’UFCM-CGT envoyée ce jour à Benjamin Raigneau DRH du groupe SNCF, concernant le forfait jours
Monsieur le Directeur,
La Fédération CGT des Cheminots, avec son Union Fédérale des Cadres et des agents de Maîtrise, vous alerte avec sérieux et gravité sur le temps de travail excessif de nombreux agents de l’entreprise soumis au forfait-jours.
Ce temps de travail est nettement supérieur aux 1589 heures annuelles pour lesquelles les cheminots sont rémunérés. Au-delà du travail gratuit qu’il représente, c’est la santé physique, morale et sociale de ces salariés qui est aujourd’hui en danger. En effet, nos militants constatent que la situation de l’encadrement n’a pas évolué dans le bon sens depuis 2017, date de la signature de l’accord catégoriel introduisant le forfait en jours à la SNCF.
Nous vous rappelons les conclusions de l’étude réalisée par le cabinet SECAFI, sous le contrôle de la commission santé du CCGPF :
• Les fortes inégalités de la charge en fonction du poste de travail,
• Les dépassements réguliers du temps de travail,
• Le sentiment de ne pas pouvoir faire du bon travail,
• La pression étouffante pour de nombreux dirigeants en proximité ;
• L’intrusion des activités professionnelles dans la vie personnelle ;
• …
Vous le savez, cette analyse repose sur les réponses spontanées des 13 300 agents de maîtrise et cadres au questionnaire mis en ligne par le CCGPF. Elle a été complétée par 100 entretiens en face-à-face. En séance plénière, lors de la restitution de cette étude, les rapporteurs du cabinet d’expertise vous avaient officiellement avisé du risque de crise sanitaire pour quelques agents rencontrés. En 2016 toujours, vous aviez diligenté une étude par la Direction des Audits et des Risques qui aboutissait à la même alarme. D’ailleurs, lors des négociations, vous n’avez jamais remis en cause ce diagnostic. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que votre « pacte d’entreprise » se « discute » sous votre total contrôle dans des ateliers ou sur des plateformes numériques au traitement opaque ?
Nous avons connaissance d’une étude réalisée en 2018 à la demande de la Direction des Ressources Humaines qui dépeint une situation qui n’évolue pas, qui ne s’améliorera pas. Cette étude sera-t-elle un jour présentée officiellement aux représentants des cheminots ? Ces résultats ne sont pas étonnants, puisque derrière le mea-culpa de rigueur, rien n’a été mis en place par la direction pour alléger la charge de travail.
Rappelez-vous, M. le Directeur, de la position de la CGT qui proposait à la direction un accord global pour résoudre le problème à la source plutôt que de le dissimuler sous l’opacité du forfait en jours, dont l’objectif est de supprimer le décompte des heures travaillées.
Pour la CGT, traiter à la racine signifie d’aborder l’organisation de la production, le volume d’emplois pour répartir les tâches et la reconnaissance de la qualification par le salaire. La CGT avait également proposé un dispositif d’alerte lorsque les temps de repos n’étaient pas respectés ou lorsque le temps de travail dépassait les limites fixées.
Aucune de ces propositions n’a été retenue, les signataires de l’accord, au premier rang la direction, ont préféré des formules offrant peu de droits aux cheminots et qui au contraire déportent la responsabilité sur l’agent et son supérieur direct.
Nous savons que de nombreux cheminots ont dépassé leur forfait en jours en 2018, qu’avez-vous fait ?
Un dramatique accident nous a révélé l’existence de pratiques de certains métiers où des femmes et des hommes travaillent le jour, assistent aux réunions et suivent les chantiers la nuit. Certes, la mise en place du forfait-jours n’est pas à l’origine de ces dérives, mais le flou, l’absence de cadre réglementaire qu’il laisse transparaitre, ne permettent pas aux cheminots de se reposer sur des droits pour organiser le travail. Les maigres dispositifs contenus dans l’accord s’avèrent inefficaces puisqu’ils semblent d’abord viser à vous désengager de vos responsabilités d’employeur.
Face à l’inopérance des articles 12b (cadrage a priori de la charge), 13 (suivi des journées travaillées), 13 bis (possibilité d’émettre un signalement) de l’accord relatif à la mise en place du forfait en jours du 17 mars 2017, veuillez donc considérer ce courrier comme un signalement collectif sur le respect des repos et de la charge de travail.
Il vous incombe, en conséquence, d’engager des actions nationales en vue d’une meilleure maîtrise de la charge de travail et de garantir le repos.
Monsieur le Directeur, vous ne pouvez plus ignorer les pratiques qui se développent dans les différents EPIC et Activités. Pour la CGT, il est donc urgent d’ouvrir des négociations sur les points suivants :
• Décompte des heures travaillées,
• Mise en place de dispositifs d’alerte à partir de ce décompte,
• Création de postes, d’assistants entre autres, pour soulager la charge de travail des Dirigeants en Proximité,
• Mise en place de dispositifs de déconnexion sous la responsabilité de l’employeur,
• Instauration des plages horaires de prise et fin de service variables pour les salariés dont les métiers le permettent,
• Reconnaissance des qualifications.
Seule une négociation sur la base de ces propositions serait de nature à créer des droits adaptés, modernes, efficaces et protecteurs des cheminots de l’encadrement.
Vous connaissez l’attachement de la CGT et son UFCM aux conditions de vie et de travail des cheminots comme à la qualité du travail pour rendre un service public fiable et efficace. Les solutions existent, elles dépendent d’une volonté, d’un engagement.
Dans l’attente d’une mesure de vos responsabilités, au regard du niveau d’alerte pour la santé des cheminots de l’encadrement, veuillez recevoir, M. le Directeur, nos salutations respectueuses.
Jocelyn PORTALIER
Secrétaire Général de l’UFCM-CGT