Lettre ouverte sur le Fret ferroviaire
adressée au ministre des Transports et au P.-D.G. du GPU SNCF
M. Clément BEAUNE
Ministre délégué chargé des Transports
M. Jean-Pierre FARANDOU
Président-Directeur Général du GPU SNCF
Monsieur le Ministre, Monsieur le Président-Directeur général,
Le Fret ferroviaire fait l’objet de promesses depuis 20 ans. Les plans de relance se sont succédé (2003, 2007, 2009, 2011, 2016, 2021), mais ils étaient tous fondés sur une politique publique libérale (dérégulation, baisse des coûts) largement inspirée du mode routier. Du fait des spécificités ferroviaires, cette action publique s’est révélée totalement stérile.
De 2002 à 2018, les volumes transportés par le train sont passés de 50 milliards de tonnes.km (GTK) à seulement 33 GTK. Pour chaque tonne abandonnée ou perdue par la SNCF, la moitié est allée directement à la route. En effet, une distorsion de concurrence persiste avec le mode routier qui fait supporter ses coûts à la collectivité (infrastructures, pollution, etc.) et qui conduit les marchés à choisir le moins-disant social et environnemental.
La part modale du transport ferroviaire sur l’ensemble des marchandises transportées en France est passée de 14,6 % en 2002 à 10,7 % en 2021, Fret SNCF ayant perdu plus de 10 000 emplois sur la même période !
L’affaiblissement du service public de transport ferroviaire des marchandises n’a donc pas été compensé par le marché et n’a pas été utile à la collectivité !
Malgré deux réformes du ferroviaire en 2014 et 2018 portant prétendument déclinaison des différents paquets ferroviaires et que la CGT a combattues, la Commission européenne a ouvert, le 18 janvier dernier, une procédure formelle d’examen contre l’État français relative au soutien financier dont Fret SNCF aurait bénéficié sur la période 2007–2019.
Bien sûr, la Commission européenne peut conclure que les mesures concernées ne constituent pas des aides d’État incompatibles avec les règles de droit européen, ce qui mettrait fin à la procédure, sans conséquence.
Ce n’est pas le scénario visiblement privilégié par le ministère et par la direction de Fret SNCF qui, anticipant une décision défavorable, se préparent à renoncer à une partie conséquente de l’activité de Fret SNCF et à créer une nouvelle structure juridique pour que la Commission conclue à une transformation majeure de l’entreprise et donc à la discontinuité.
Loin des discours de façade et des bonnes intentions affichées lors des sommets internationaux, cette procédure pourrait conduire à une faillite du transport ferroviaire de marchandises en France, en portant un coup fatal à l’opérateur public avec de nouvelles suppressions massives d’emplois et un nouveau report des trafics ferroviaires sur la route.
Après 15 ans de libéralisation du Fret ferroviaire, le verdict est sans appel : les marchés ont choisi le transport routier !
Pour la Fédération CGT des cheminots, cette situation est inacceptable et les attaques contre l’opérateur public Fret SNCF doivent prendre fin immédiatement !
La Fédération CGT des Cheminots a remis début 2017 un rapport au Premier ministre intitulé « Ensemble pour le fer », qui portait notamment l’ambition de doubler la part modale du trafic ferroviaire de marchandises en 2030.
La CGT propose également un objectif de 25 % de part modale pour le ferroviaire en 2050, en se basant sur les perspectives de hausses du trafic des marchandises projetées par le Gouvernement.
Nous ne sommes pas les seuls à considérer que cela est non seulement possible, mais également indispensable !
L’étude du cabinet Altermind de juin 2020, partant du postulat d’un investissement minimum de 13 milliards d’euros dans l’infrastructure pour doubler la part du fret ferroviaire en 2030, estime que l’année pivot qui permettrait d’économiser au moins ce montant, en valorisant les externalités négatives (émissions de CO2, etc., dont le coût pour la collectivité ne cesse d’augmenter) serait atteinte en 2033. Un effort significatif donc, mais rapidement amorti.
Si nos propositions de 2017 ont été reprises en volume par le Gouvernement, l’objectif affirmé au travers de son projet en 2021 « de stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire » pour doubler la part modale en 2030 ne contient, une nouvelle fois, aucun phasage chiffré annuellement.
Nous considérons que nous ne pouvons pas attendre la fin de la décennie pour voir les volumes transportés par le rail augmenter de manière significative et que nous ne pouvons pas, une nouvelle fois, voir les objectifs repoussés de 10 ou 20 ans, compte tenu des enjeux environnementaux qui sont très largement documentés. De fait, la neutralité carbone à l’horizon 2050, telle que reprise dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), est inatteignable sans diminuer l’impact des transports.
La CGT revendique des subventions dédiées, correspondant aux objectifs et sanctuarisées dans un budget de programmation ferroviaire jusqu’en 2050.
L’État ne peut définitivement abandonner Fret SNCF et laisser le secteur entre les mains du marché.
Aussi, pour rompre avec des mesures déjà éculées, la CGT cheminots a travaillé une série de 13 « révolutions » pour développer le fret ferroviaire, qui nécessite une action publique forte pour sortir de la « rentabilité immédiate ».
Cela passe préalablement par un engagement massif de l’entreprise publique, qui doit être protégée des aléas et du court-termisme de marché, ainsi que par des mesures sérieuses pour la relance du transport de petits lots (« wagons isolés »), avec une prise en compte des territoires dans les arbitrages liés aux transports et notamment une impulsion de la puissance publique pour relier les infrastructures stratégiques (MIN, ports, etc.) avec des solutions ferroviaires.
Parmi les mesures préconisées pour contribuer à réorienter les flux de marchandises sur les modes les plus vertueux, la CGT propose que l’État impose aux grands logisticiens comme Amazon ou La Poste une obligation minimale d’utilisation du mode ferroviaire, jusqu’à atteindre progressivement l’objectif de 25 % en 2050.
Pour capter de nouveaux marchés, comme les produits frais ou les déchets, la CGT souhaite notamment un programme de recherche et développement pour la conception de nouveaux types de wagons adaptés aux contraintes ou aux dimensions des produits et à leur manutention.
Les chiffres sont têtus ! Convoquer chaque année des investissements qui ont déjà été programmés les années précédentes et renvoyer sans cesse les objectifs à des horizons fuyants ne constitue pas une politique publique efficace !
Fret SNCF est d’utilité publique et doit se développer pour répondre à l’intérêt général !
C’est dans ce cadre que nous souhaitons vous rencontrer afin de construire d’autres alternatives que celles que dessine irrémédiablement le conformisme libéral.
Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, Monsieur le Président-Directeur général, nos respectueuses salutations.
Thierry NIER
Secrétaire général adjoint