Alors que nous entamons un deuxième mois de confinement, Gouvernement, patronat et direction SNCF ne changent pas de cap. Ils entendent imposer leur vision ultralibérale sous couvert de crise sanitaire. Tenons-nous prêts à poursuivre le combat !
LES CHEMINOTS DOIVENT-ILS PAYER LA CRISE ?
En 2018, les entreprises françaises ont versé plus de 200 milliards d’euros à leurs actionnaires. C’est l’équivalent de près de 10 % de l’ensemble des richesses produites par le pays (PIB). Il y a donc une masse considérable d’argent disponible pour financer les mesures de protection et de relance économique. Au nom de la solidarité nationale, la CGT propose de socialiser ces sommes afin de payer une partie du coût de la crise sanitaire et économique.
À LA SNCF
L’impact du confinement risque d’être lourd. On peut probablement chiffrer ces pertes à plus de 6 milliards d’euros pour l’ensemble du Groupe. Avant de céder à « l’union sacrée », il faut regarder de plus près les causes des difficultés.
La majorité des pertes sont générées par les activités internationales. En France, les subventions publiques sont maintenues et amortissent les effets du confinement, ce qui n’est pas le cas à l’étranger. L’ex-GPF (activités ferroviaires publiques en France) représente seulement un tiers des pertes.
En reprenant les chiffres des recettes commerciales (source ARAFER) et des budgets, on aboutit à l’évaluation suivante, en millions d’euros :
Si l’on décortique ensuite les chiffres de l’ex-GPF, on peut faire les hypothèses suivantes :
▪ Pour SNCF Réseau, les pertes de recettes (600 millions d’euros) seront probablement compensées en totalité par les baisses d’achats (y compris prestation de sous-traitance) et reports d’investissements. Il faut noter que le budget 2020 prévoyait un résultat net de +613 millions d’euros.
▪ Pour SNCF Voyageurs, les pertes de recettes (1 410 millions d’euros) seront probablement compensées par 500 millions d’euros d’économie sur les péages, 70 millions sur l’énergie de traction, 50 millions de remboursement de l’Etat sur le chômage partiel et de fortes économies sur les achats (y compris prestations de sous-traitance). Le budget 2020 prévoyait un résultat net de +691 millions d’euros.
▪ Pour le FRET, la situation était déjà préoccupante. La pandémie n’arrange rien, mais l’avenir de l’activité dépend essentiellement de la volonté des pouvoirs publics de favoriser le report modal ou non.
▪ Pour Gares et Connexions et la SA de tête, les baisses de chiffre d’affaires devraient également être amorties par des économies sur les achats et la sous-traitance.
L’impact de la crise sanitaire est donc important, mais il ne justifie pas une casse des droits sociaux !
En revanche, de véritables menaces financières pèsent sur le système ferroviaire du fait des réformes successives, et notamment celle de 2018 :
1) Le recours aux marchés financiers
Alors que la SNCF a besoin d’un milliard d’euros toutes les 2 semaines, les prêteurs profitent de la crise pour renchérir les taux d’intérêts. Par ailleurs, l’Europe étant fortement bousculée, il faut se financer avec des produits libellés en devises étrangères, ce qui renforce le risque en cas de décrochage de l’euro par rapport à ces devises.
2) Le financement de l’Infra par un « dividende » de SNCF Voyageurs
L’Etat a présenté ce montage comme une subvention publique puisqu’il « renonce » à son « dividende ». Sauf qu’avec la crise, le dividende ne devrait logiquement pas être versé en juin, ce qui priverait SNCF Réseau de 662 millions d’euros. L’Etat pourrait obliger SNCF Voyageurs à le verser, contrairement à ce qu’il préconise pour les autres entreprises. Dans tous les cas, c’est l’une ou l’autre des parties de l’ex-GPF qui sera étouffée par ce système.
La CGT considère que ce n’est pas aux salariés de payer la crise. C’est leur travail qui maintient l’activité, malgré les risques infectieux, et c’est encore leur travail qui permettra de relancer l’entreprise.
La CGT formule donc les propositions d’urgence suivantes :
▪ Arrêt des projets consommateurs de capital et inutiles (création de Green speed, implantation en Espagne pour faire concurrence à la RENFE…) ;
▪ Recours aux prêts bancaires garantis par l’Etat plutôt qu’aux marchés financiers, avec demande d’amortissement sur 5 ans (Renault s’apprête à demander 4 à 5 milliards d’euros, et Air France 6 milliards) ;
▪ Non-versement du « dividende » de SNCF Voyageurs en juin 2020 (662m €) et apport d’une subvention équivalente à SNCF Réseau par l’Etat.
Il faut aussi enclencher les ré-internalisation d’activités, car la sous-traitance est un coût énorme.
CONGÈS / REPOS : UN VOL AVEC RÉCIDIVE !
La direction SNCF, s’appuyant sur les ordonnances prises par le Gouvernement, a décidé unilatéralement d’imposer 5 jours de repos, courant avril. Les cheminots ont été invités à « donner » leurs jours avant le 10 avril, sans quoi ils seraient imposés !
Certains établissements ont même profité de la situation pour imposer des fermetures totales, c’est le cas notamment dans plusieurs Technicentres du Matériel.
Ce vol de repos, faute de pouvoir obtenir un accord pour siphonner les congés, est doublement injuste. D’une part parce que certains repos complémentaires ont été acquis en compensation de contraintes liées au travail en service posté ou de nuit, mais aussi parce que certains de ces repos sont liés à l’application des 35 heures.
En plus d’être injuste, l’application s’avère être inéquitable, notamment pour les cheminots qui sont à la production ou en télétravail, mais aussi au regard de l’attitude de certaines directions qui n’hésitent pas à faire poser des congés au nom de la solidarité nationale !
Les reliquats de congés 2019 qui n’ont pas pu être accordés en raison des contraintes de production et n’ont pu être posés en raison du confinement ont aussi été volés ! Ils doivent donc être rendus.
ACTIVITÉ PARTIELLE : LA VIGILANCE S’IMPOSE !
Le Gouvernement a étendu par ordonnances la possibilité de recourir au chômage partiel aux entreprises publiques. Là aussi, au regard de la forte baisse d’activité, la direction SNCF a décidé d’y avoir recours. Pourtant, d’autres solutions auraient pu être mises en oeuvre, notamment par une aide directe de l’État.
L’activité partielle peut se traduire soit par une réduction de l’horaire de travail pratiqué dans l’établissement ou partie de l’établissement en-deçà de la durée légale de travail, soit par une fermeture temporaire de tout ou partie de l’établissement.
Si le discours se veut rassurant sur le maintien de la rémunération, des éléments d’inquiétude et de vigilance s’imposent. La Fédération CGT des Cheminots a donc exigé des réponses à de nombreuses imprécisions ou omissions de la Direction :
▪ Les périodes non-travaillées ouvriront-elles droit à retraite, aussi bien pour le régime spécial que pour le régime général et l’AGIRC/ARRCO ?
▪ L’activité restreinte ou chômage partiel est incompatible avec le télétravail, les formations à distance ou encore les astreintes ;
▪ Quel financement de la protection sociale, du FASS ou encore de la Médecine SNCF ?
▪ Quel impact sur nos Activités Sociales et leur financement ?
▪ Quel impact sur l’acquisition des repos de type RU/RQ pour cette période « non-travaillée » ?
▪ Comment mettre en place une activité partielle pour les cheminots soumis au forfait-jours, sachant que le temps de travail n’est pas décompté ?
L’urgence sanitaire et la nécessité de protéger les cheminots ne doivent en aucun cas se traduire par des régressions sociales, opportunément présentées comme de la solidarité nationale. La Fédération CGT des cheminots continuera, dans ce contexte inédit, à garantir la santé et la sécurité des cheminots, mais aussi l’intégrité de leurs droits sociaux.
METTRE DE LA COHÉRENCE DANS LE SYSTÈME
La Fédération CGT des cheminots combat toutes les volontés de diviser la SNCF. C’est en cela qu’elle s’est engagée, parfois rejointe par d’autres OS, dans d’âpres batailles revendicatives depuis longtemps.
À chaque fois, elle oppose un projet complet pour le ferroviaire public. Au début des années 2000, face au projet « Cap client » de la SNCF, la CGT proposait « Cap Service Public » ; en 2014, face à la loi du 4 août, « La voie du Service Public » ; en 2018, face à la loi « Pacte ferroviaire », le rapport « Ensemble pour le Fer ».
Nous considérons que seule une entreprise publique, unique et intégrée est à même d’assurer un service public ferroviaire (voyageurs et marchandises) de qualité. Les synergies doivent demeurer entre métiers, pour répondre à une seule philosophie : « Produire un train et réaliser des travaux en toute sécurité ».
Nous avons pu mesurer à quel point le pilotage par activité, exacerbé par la création de sociétés distinctes, ne permet pas la transversalité nécessaire pour que chaque métier soit complémentaire de la chaîne de production, et non en compétition les uns vis-à-vis des autres. La structuration actuelle n’établit aucune cohérence, crée des obstacles supplémentaires au bon fonctionnement de l’activité ferroviaire au sens large.
Dans le cadre de la crise sanitaire que nous vivons, l’éclatement de l’entreprise a encouragé la confusion sur les lieux de décision et l’apparition d’interprétations divergentes des textes ou des mesures. Cela a fait perdre beaucoup de temps pour assurer la protection des cheminots sur les lieux de travail. Cette multiplication de sociétés ne permet pas la transparence, la clarté et l’efficacité, notamment pour décider des activités dites « essentielles » ou non.
Il faut déterminer plus précisément ce qui est du domaine du décisionnel, de la déclinaison applicative et ce qui est temporaire, en lien avec la crise sanitaire.
L’efficacité doit guider la répartition des rôles entre le central, le professionnel et le territorial. Le central doit définir les normes et les décisions stratégiques de manière à garantir la réalisation de l’objectif (production du train, protection des salariés) et l’égalité de traitement. Le professionnel doit préciser, et non interpréter, les normes et les décisions en fonction des spécificités des métiers (risques, contacts externes, contraintes liées aux outils de travail…). Le territorial doit contrôler la bonne mise en oeuvre au plus près du terrain, assurer la cohérence et la coopération entre les services.
La CGT propose :
▪ De définir un périmètre de dialogue territorial qui permette d’établir plus de proximité, une meilleure réactivité et plus d’efficacité, particulièrement concernant la protection sanitaire des cheminots dans la séquence que nous subissons. Le périmètre des CASI correspond le mieux aux bassins de production ferroviaire.
▪ De designer un coordinateur territorial. Cela doit permettre aux organisations syndicales une interpellation permanente pour une résolution rapide des problèmes.
▪ L’organisation de réunions régulières avec le représentant syndical territorial des organisations syndicales représentatives au niveau national. La direction est favorable à une mise en place temporaire de ce dispositif, qui répondrait en partie aux besoins de gestion de la crise sanitaire d’un point de vue de la santé des cheminots, des moyens mis à disposition pour travailler en toute protection et sécurité.
Dans un souci d’unicité et de cohésion, il faudra confirmer l’utilité de ce fonctionnement, après la fin de l’alerte sanitaire, par un accord, pour pérenniser des compétences économiques pour les CASI, assurer la représentativité que les cheminots ont attribuée aux Organisations Syndicales et doter l’instance de moyens adaptés.
Le futur se prépare dès maintenant ! Tenons-nous prêts à imposer collectivement nos revendications pour un véritable Service Public ferroviaire !