Monsieur le Président,
Dès le lancement des assises du ferroviaire en juin 2011 par Mme KOSCIUSCO-MORIZET, alors Ministre du Gouvernement de M. FILLON, la Fédération CGT des Cheminots a travaillé à la construction d’un projet complet de réforme réunifiant la SNCF et RFF.
En octobre 2012, lorsque le Ministre des Transports nouvellement nommé a annoncé vouloir réunifier le système ferroviaire public pour répondre aux besoins de la Nation, son discours a été accueilli positivement par les cheminots et les organisations syndicales les représentant.
D’ailleurs, la CGT, à partir de son projet, a proposé, avec l’UNSA et SUD-Rail, une plateforme revendicative unitaire actant cette réunification au sein d’une entreprise unique et intégrée : la SNCF.
Cette proposition, compatible avec les règles et lois en vigueur en Europe et en France, a comme avantage d’établir une cohérence dans la chaîne de production, de permettre à tous les cheminots de travailler ensemble pour une meilleure qualité du service public ferroviaire.
Le projet CGT intègre le traitement de la dette et le financement des investissements nécessaires pour rénover et entretenir le réseau. Il prend aussi en compte des sources d’économie de production par la mutualisation des moyens humains et matériels au service de toutes les activités. Ces propositions permettent de maintenir, et même d’améliorer, l’ensemble des acquis sociaux des cheminots. Enfin, dans un souci de développement humain durable, la CGT a inclus dans son travail une croissance du transport de marchandises par rail dans le cadre d’un service d’intérêt général.
La CGT a demandé l’ouverture d’un débat public sur cette réforme structurante pour la société, mais il nous a été refusé. D’ailleurs, lorsque les militants de notre organisation syndicale ont organisé des initiatives publiques dans les territoires, les représentants de la SNCF ont systématiquement décliné les invitations à débattre.
Les cheminots, en grand nombre, ont combattu par la grève, sur le fond et sur la forme, cette loi qui s’inscrit dans les orientations européennes de casse des services publics, dans la stratégie d’austérité du gouvernement et dans le sillage du MEDEF qui entend détruire les droits sociaux des salariés de notre pays.
Mais le Gouvernement, avec l’appui de la Direction de la SNCF, a opté pour le passage en force. Le texte de loi voté, à l’issue d’un débat parlementaire tronqué dans une procédure d’urgence, acte la fin de la Société Nationale des Chemins de fer Français. Au lieu de réunifier, elle crée une structure publique éclatée en trois entreprises distinctes. Ce système non financé et la dette qui reste à sa charge risquent encore de peser sur les conditions de vie et de travail des cheminots ainsi que sur la qualité et la sécurité du service public. Le Fret ferroviaire public reste le grand oublié de cette réforme.
Nous regrettons ce déni de démocratie et la loi qui a été promulguée le 4 août 2014 est très éloignée des discours gouvernementaux de 2012. D’ailleurs, M. Cuvillier, en jetant l’éponge à la fin du mois d’août dernier, a lui-même reconnu n’avoir pas eu les moyens de mener une politique publique de transports efficace, notamment concernant le financement des infrastructures. Comme quoi, les cheminots qui se battaient en juin n’avaient pas tous les torts que leur attribuaient le gouvernement, la direction de la SNCF et les médias qui nous ont livrés à la vindicte populaire.
A la fin juin, vous avez déclaré : « Mon rôle est de tout faire pour que les blessures, les fractures, les frustations s’apaisent. Pour constuire la nouvelle SNCF nous avons besoin de tout le monde, ceux qui ont travaillé comme ceux qui ont fait le choix de la grève ». Nous étions donc en droit d’attendre des comportements reflétant cet esprit de conciliation et du respect vis-à-vis de ceux qui, légitimement, ont fait valoir leur droit constitutionnel de faire grève.
A ce jour, il n’en est rien. De nombreux cheminots sont confrontés à des procédures disciplinaires sur des dossiers établis à charge dans une démarche que l’on peut qualifier de revancharde.
Les attitudes de certains dirigeants de l’entreprise nous rappellent des époques que nous n’aimerions plus revivre. La dispute, la confrontation idéologique comme la grève font partie intégrante des valeurs de la vie démocratique. Ceux qui tentent de remettre en question ces fondamentaux remettent en cause les principes de la République.
Etre en grève ou pas est un droit et un choix individuel, contraindre des agents non-grévistes à quitter leur poste pour aller faire le travail de ceux qui le cesse, c’est réfuter ce droit et ce choix.
Des lois contraignantes ont été imposées afin de restreindre le droit de grève. Elles sont censées adapter le plan de transport à la situation perturbée. Il est donc superflu et contraire à la loi de créer ou d’annoncer artificiellement plus de trains et de services que les effectifs disponibles le permettent. Ce sont ces mesures illégitimes qui sont à l’origine de situations conflictuelles. C’est ce que nous avons connu durant l’action du mois de juin. Ce sont des procédés similaires qui ont eu lieu sur l’axe Paris-Beauvais envers les cheminots qui ne se sentent pas en sécurité suite à la décision unilatérale de la Direction d’imposer l’EAS.
Les coupables ne sont pas ceux qui sont soumis à des menaces de sanctions très lourdes, les coupables sont du côté de ceux qui créent les tensions entre agents par des méthodes managériales condamnables.
La mise en oeuvre de la loi portant réforme du système ferroviaire va nécessiter des relations sociales apaisées au sein de notre entreprise, il serait contreproductif d’entretenir un climat conflictuel par des actes injustes.
Dans l’intérêt de tous, la Fédération CGT des Cheminots vous demande donc expressément d’intervenir pour que cessent ces comportements et vous invite à renoncer à certaines sanctions disproportionnées qui sont aujourd’hui engagées à l’encontre de nos collègues.
Cela me conduit à la période qui s’ouvre à nous avec la mise en oeuvre de la réforme. Certes, la CGT, avec nombre de cheminots, a contesté le contenu de cette loi et fait des propositions alternatives qui n’ont pas été retenues, mais aujourd’hui est venu le temps de l’application de la loi avec la disparition de la SNCF née en 1938. Cela va nécessiter différentes étapes de négociations sociales.
Il semblerait, au regard du contexte, que les Directions de la SNCF et de RFF s’engagent dans un processus contraire aux règles sociales les plus élémentaires. Les différentes communications émanant de la Direction de la SNCF ne sont pas acceptables, car contraires à ces règles. Alors que nous n’avons eu aucun débat sur la structuration du système ferroviaire public, sur le contenu des trois EPIC, sur l’organisation de la production et qu’il manque encore la publication de nombreux décrets d’application, la Direction de la SNCF communique, nomme et engage ce que vous appelez des préfigurateurs. Des brochures sont produites comme si tout était fait sans aucun débat. Pire, les documents très incomplets remis aux élus du CCE sont écrits au présent de l’indicatif et mis à disposition du personnel sur intranet, comme si les procédures d’information et de consultation des différentes instances concernées, CHSCT, CE et CCE, avaient eu lieu.
Vous allez jusqu’à faire diffuser dans la presse les noms des « nouveaux dirigeants » avec leurs responsabilités, comme si tout était finalisé. Alors que le gouvernement n’a proposé aucun nom pour présider les EPIC et le Directoire du Groupe public, alors que personne n’a été auditionné par les assemblées parlementaires en amont des votes prévus dans les CA respectifs, nous lisons que vous vous seriez quasiment auto-désignés, avec M. RAPOPORT, Président et Vice-président du Directoire.
Nous sommes également informés que, dans certains services, des dirigeants zélés engageraient par anticipation des mouvements de personnels et des réorganisations sans se préoccuper des IRP et des procédures réglementaires.
Permettez-nous de penser que l’ensemble de ces dispositions prises par la Direction sont contraires à l’esprit républicain et à la législation. Nous apprenons même que, contrairement à ce qui est écrit dans le texte de loi, la création du Groupe Public Ferroviaire n’entrerait pas en vigueur au 1er janvier 2015 mais au 1er juillet 2015.
Doit-on rappeler que, dans ces propositions, la CGT avait demandé de prendre du temps pour le débat et la mise en oeuvre de la loi ? Mais sur ce sujet aussi, nous n’avons pas été entendus. Encore une fois, force est de constater que nous avions raison.
Nous prenons acte de ce report de 6 mois, au 1er juillet 2015, pour l’entrée en vigueur de la loi puisque les services ministériels confirment l’incapacité à appliquer la loi à la date inscrite dans le texte.
M. le Président, nous demandons que les règles en vigueur soient respectées, que du temps soit donné à la négociation sur l’ensemble des sujets qui vont impacter le quotidien des cheminots et conditionner la qualité et la sécurité du service public ferroviaire de notre pays pour des années.
Nous devons commencer par la structuration du système, le contenu des trois EPIC et l’organisation de la production, ce qui permettra d’organiser les élections des représentants des salariés aux CA de SNCF Réseau et SNCF Mobilité, ainsi qu’au Conseil de Surveillance du GPF SNCF.
Nous travaillerons, dans un deuxième temps, sur la dimension sociale de la réforme, la réécriture rendue obligatoire du statut, l’intégration des agents de RFF, les Instances Représentatives du Personnel, la gestion des activités sociales et culturelles avant l’organisation des élections professionnelles CE/DP.
En parallèle, nous aurons des négociations pour l’écriture d’un décret socle sur la durée du travail et l’élaboration d’une Convention Collective de Branche. Cette Convention va déclencher l’ouverture de négociations internes au Groupe Public Ferroviaire pour les volets qui s’appliqueront aux cheminots, chacun pense notamment à la réglementation sur le temps de travail.
C’est dans cet esprit que nous souhaitons élaborer un calendrier social, sachant que durant toute cette période, les trains vont continuer à rouler et les travaux sur les voies se poursuivent, ce qui se conjugue avec l’ensemble des négociations et des réunions statutaires afférentes aux conditions sociales et de travail des cheminots. Malheureusement, l’accident de Denguin cet été, un an après celui de Brétigny, rappelle à la réalité et prouve que la préoccupation première doit être les conditions de circulation des trains, de maintenance des installations et de réalisation des travaux pour garantir la sécurité des usagers et des cheminots.
Comme la CGT l’a toujours pratiqué, notre Fédération sera force de propositions pour l’ensemble de ces sujets, dans l’intérêt des cheminots et du service public dû aux usagers fret et voyageurs, et plus largement à la Nation.
Vous conviendrez qu’au regard des tâches qui nous attendent, la Fédération CGT des Cheminots attend du Président de la SNCF, comme de celui de RFF, un environnement social apaisé, sincère et constructif, le respect des représentants de salariés et des organisations syndicales dans le cadre d’un dialogue prenant en considération leurs propositions et le temps utile à la négociation.
Dans l’attente de vous lire, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations les plus respectueuses.
Gilbert GARREL, Secrétaire